Le KO brutal de
Hamzah Sheeraz contre
Edgar Berlanga, jusque-là invaincu, lors de la carte Ring III aurait facilement pu ne pas être une performance qui le propulse au sommet. Une défaite aurait été un énorme recul, et une victoire aurait inévitablement suscité des comparaisons avec la victoire ennuyeuse de Canelo Álvarez contre Berlanga l’année dernière. C’était une opportunité, certes, mais avec des réserves.
La seule façon pour
Sheeraz de s’approprier l’histoire et de tracer sa propre voie vers la gloire était de surpasser totalement la victoire de Canelo. Et Sheeraz a fait mieux encore : sur une carte de combats divertissante et équilibrée, il a volé la vedette avec le seul KO de la soirée.
Un arrêt plus progressif aurait probablement suffi aussi ; si Sheeraz avait lentement usé Berlanga avant de le mettre KO plus tard, cela aurait déjà été une amélioration par rapport à la victoire dominante mais ennuyeuse de Canelo.
Sheeraz a donc envoyé un message au reste de la division avec ce KO violent, tout en dissipant les récentes inquiétudes concernant des combats soporifiques lors de ses interviews d’après-match.
« Si j’ai l’opportunité de combattre [Canelo], ça ne sera pas un de ces combats où j’essaie de grappiller des points », a déclaré Sheeraz. « Je me tiendrai au centre avec lui et on en découdra… et celui qui frappe le premier, je suppose qu’il mettra l’autre KO, non ? »
On imagine facilement le costaud Sheeraz, qui mesure 1,90 m, imposer le rythme face à Álvarez, qui combat rarement en dehors de sa zone de confort. Sheeraz est aussi plus jeune, plus frais, et surtout affamé de gloire. Mais toute analyse technique reste vaine sans une voie claire vers ce combat, et une raison de le faire.
Sheeraz (22-0-1, 18 KO) a moins d’un tiers de l’expérience professionnelle d’Álvarez (63-2-2, 39 KO). Cet écart numérique est cependant relativisé en reconnaissant que Canelo est un cas exceptionnel en termes d’expérience mondiale et vieillit chaque jour. D’ailleurs, William Scull était à 23-0 et Berlanga lui-même à 22-0 lorsqu’ils ont affronté Canelo, ce qui montre qu’il n’y a pas de nombre minimal de combats pro requis pour un adversaire.
Une ou deux victoires supplémentaires contre des noms reconnus devraient suffire à maintenir Sheeraz dans la course à un combat contre Canelo. Mais un obstacle de poids, au sens propre comme au figuré, se dresse :
Terence Crawford.
Canelo-Crawford, ce combat surprise que beaucoup de sceptiques ont fini par accepter, s’annonce comme l’un des plus gros affrontements de ces dernières années. Il est extrêmement rare que deux combattants de classe mondiale, avec des arguments légitimes pour être les meilleurs au monde, soient assez proches en poids pour s’affronter. Et c’est encore plus rare que les moyens, l’opportunité et la motivation se conjuguent pour que le combat ait lieu.
Mais à moins d’une anomalie avant le combat, Canelo devrait être favori pour la victoire
. On ne sait pas encore si Crawford pourra conserver sa vitesse et sa puissance en montant d’au moins deux catégories, ni s’il pourra encaisser les coups d’un adversaire bien plus grand. Une victoire de Canelo n’est pas une évidence, mais tout boxeur de haut niveau qui monte sur le ring au maximum deux fois par an doit penser au-delà du prochain combat.
En d’autres termes, envisager un Canelo-Sheeraz n’est pas un sacrilège.
Au contraire, un combat potentiel entre Canelo et Sheeraz a au moins un avantage que peu d’autres événements avec Canelo possèdent : la capacité de remplir facilement un stade immense.
Malgré la récente arrivée de Sheeraz sur la grande scène et le fait qu’il n’ait pas encore été tête d’affiche sur des cartes majeures, le jeune super-moyen fait partie d’une des communautés de boxe les plus soudées au monde. Les fans britanniques soutiennent toujours leurs compatriotes, et l’histoire récente le prouve.
Incroyablement, quatre des dix plus grosses affluences de l’histoire de la boxe ont eu lieu au Royaume-Uni ces 11 dernières années. Sheeraz a d’ailleurs remporté le titre européen des poids moyens lors de la soirée où Daniel Dubois a mis KO Anthony Joshua, la plus grande affluence jamais enregistrée en boxe au Royaume-Uni, avec près de 100 000 spectateurs.
Canelo n’est pas non plus un étranger quand il s’agit d’attirer les foules. Il a combattu plusieurs fois devant plus de 50 000 personnes et remplit généralement de grands stades. Et sur le plan nationaliste, la plus grosse affluence payante de l’histoire de la boxe a eu lieu au Mexique, pays natal de Canelo, quand Julio César Chávez a écrasé Greg Haugen devant 130 000 spectateurs à Mexico.
Peu importe où aura lieu le combat, la rivalité Mexique vs. Royaume-Uni attire toujours les foules. Dans les années 1960, une trilogie entre les poids plume Vicente Saldívar et Howard Winstone s’était avérée très populaire, et dans les années 70, John H. Stracey avait détrôné le champion welter José Nápoles avant de perdre son titre six mois plus tard face à Carlos Palomino. Salvador Sánchez et Pat Cowdell ont poursuivi cette tradition dans les années 80, et depuis, cette rivalité n’a fait que s’intensifier.
Ces dernières années, les boxeurs mexicains qui traversent l’Atlantique pour défier les Britanniques sont même devenus une sorte de cliché amusant. La défaite de
Leigh Wood face à Mauricio Lara en 2023 a considérablement freiné sa carrière, et il y a quelques semaines,
Galal Yafai a subi sa première défaite contre Francisco Rodríguez, même si les résultats controversés du test antidopage de ce dernier pourraient modifier le verdict.
Sheeraz doit encore acquérir de l’expérience, et il l’obtiendra, quelle que soit l’orientation de sa carrière. Quant à Álvarez, il a déjà accompli assez pour être considéré parmi les plus grands boxeurs mexicains de tous les temps. Mais en boxe, le timing est crucial. Sheeraz pourrait bien avoir décroché la bonne victoire au bon moment pour se tracer une voie vers la gloire.