Anthony Joshua est habitué à composer avec des Américains qui parlent beaucoup.

En 2016, Joshua a remporté son premier titre mondial face à Charles Martin, lequel s’était comparé à une divinité avant le combat avant de s’effondrer quelques minutes plus tard. Il y a également eu Kevin Johnson, qui avait promis de battre Joshua au point de mettre fin à sa carrière, avant de plier en deux rounds.

C’est pourquoi affronter Jake Paul devrait lui sembler familier et relativement simple.

« Si tu parles autant, assure-toi de pouvoir le prouver sur le ring », avait déclaré Joshua au magazine Square Mile après avoir battu Johnson.

C’était à une époque où Joshua était encore jeune et inexpérimenté. À seulement 25 ans et avec à peine 12 combats professionnels, Joshua était déjà champion olympique, mais n’avait pas encore pleinement fait ses preuves. Wladimir Klitschko régnait toujours sur la catégorie des poids lourds, le monde de la boxe digérait encore la victoire de Floyd Mayweather sur Manny Pacquiao, et le combat que tout le monde attendait vraiment était Canelo contre Gennadiy Golovkin.

Bref, beaucoup de choses ont changé depuis.

Joshua est passé du statut de révélation aux Jeux olympiques de Londres en 2012 à celui de l’un des espoirs les plus en vue de la boxe mondiale, et d’un futur champion du monde des poids lourds pressenti — un niveau de pression que peu de boxeurs parviennent à surmonter. Aujourd’hui âgé de 36 ans, il a disputé 20 combats depuis sa victoire par arrêt contre Johnson.

Avec quatre défaites lors de ses dix derniers combats, le bilan de Joshua est facilement critiqué selon la vision post-Mayweather, qui considère toute défaite professionnelle comme une honte majeure. Joshua est même parfois présenté comme un boxeur ayant cédé sous la pression d’être le prochain grand poids lourd britannique.

Cela revient toutefois à ignorer sa progression constante en tant que boxeur et son désir permanent de se mesurer à une opposition de qualité — du moins jusqu’à ce qu’il soit largement remis en question après ses défaites contre Andy Ruiz et Oleksandr Usyk.

Face à l’ancien champion de l’UFC Francis Ngannou, Joshua a rappelé à tous qu’il est bel et bien un véritable combattant. Certes, il était peut-être plus facile de le démontrer face à un novice sur un ring de boxe, mais il l’a prouvé malgré tout.

C’est peut-être la raison pour laquelle tant de fans et de commentateurs peinent à considérer Paul comme un véritable boxeur. Relativement parlant, Paul a été propulsé rapidement au sommet sans beaucoup d’expérience et est apparu en bonne place sur des diffusions qui auraient, au moins en théorie, pu laisser la place à des boxeurs ayant déjà affronté l’assaut de la boxe professionnelle.

L’ironie veut que Joshua ait autrefois été critiqué par certains médias spécialisés pour exactement la même raison.

De même, il n’existe guère d’insulte plus grande pour les fans de boxe que de qualifier Paul de boxeur. Le seul groupe de personnes utilisant « YouTuber » comme un terme péjoratif plus fort est celui des parents d’âge moyen. Selon eux, Paul n’a affronté que des artistes martiaux mixtes et des patients en soins palliatifs gériatriques, tout en nourrissant collectivement le fantasme selon lequel chaque boxeur qui monte sur le ring est un guerrier sacré.

Le palmarès de Paul, 12-1, a été fabriqué et conçu de la même manière que n’importe quelle marchandise lucrative chaussée de gants de boxe. Et comme pour toutes ces marchandises, Paul fait face aux mêmes dangers, à court et à long terme.

Peut-être la partie la plus comique de Joshua–Paul est la façon dont le mélange chez Paul de vengeur juste et de provocateur agaçant a été complètement perturbé par la réalité de la différence de taille entre eux et l’amélioration inattendue par rapport au ridiculement plus petit Gervonta Davis. Les problèmes extra-sportifs que « Tank » apportait sur la table ont disparu, et tout ce qui reste pour Paul est une montagne impossible à gravir.

Le résultat le plus probable, et de loin, est que Joshua célébrera encore une fois le fait d’avoir puni une personne assez folle pour croire qu’elle pouvait plonger tête la première dans des eaux infestées de requins avec une blessure béante. Paul subira très probablement sa première défaite par KO. Et si cela devait arriver, cela n’ajoutera ni ne retirera grand-chose à l’héritage de Joshua. Au mieux, il devient un exécuteur favori des fans pour les coupables, bien que ce ne soit certainement pas à prendre à la légère.

Au-delà de son insistance à mettre la boxe féminine sous les projecteurs, le plus grand accomplissement de Paul est d’avoir révélé à quel point la formule de fabrication des stars en boxe tend à diverger de la version poétique du chemin d’un guerrier. Apprendre à diriger une symphonie peut prendre des années, voire des décennies, et pourtant Paul a saisi la baguette et a réussi, d’une manière ou d’une autre, à la faire fonctionner en novice. Au grand dam de quasiment tout le monde, oui, mais avec suffisamment de succès pour qu’on ne puisse tout simplement pas l’ignorer.

Et puis il y a l’horreur absolue de considérer que Paul pourrait placer un coup ridicule et remporter le combat légitimement. C’est une possibilité si éloignée et terrifiante que les retombées pourraient réellement être catastrophiques pour plusieurs parties impliquées. C’est le seul résultat susceptible de changer concrètement quelque chose pour la carrière de l’un ou l’autre boxeur.

Il semble presque inutile que Joshua consacre son temps, toujours plus court, à quelqu’un comme Paul. Joshua peut y réfléchir tout en profitant des dizaines de millions de dollars dont ils devraient tous deux bénéficier, selon les rumeurs.

Quoi qu’il arrive entre Joshua et Paul, rien ne peut effacer leurs accomplissements. C’est un concept que l’on rencontre fréquemment lorsque de grands boxeurs continuent inévitablement trop longtemps et subissent des défaites. Beaucoup disent que l’héritage d’un boxeur est détruit ou en quelque sorte annulé, mais comment des actions pourraient-elles être défaites ? Les insuffisances d’un sport à soutenir les anciens combattants se reflètent sur le sport lui-même et sur son infrastructure, pas sur les boxeurs.

Anthony Joshua a ramassé les morceaux de la division des poids lourds que Tyson Fury avait laissés éparpillés. Il s’est relevé de ses knockdowns pour gagner et a refusé de céder quand chaque neurone lui disait qu’il devrait le faire. Il a également assuré la stabilité financière de générations entières en devenant l’un des boxeurs britanniques les plus populaires de tous les temps.

Jake Paul est un boxeur. Il s’est juste fait beaucoup plus discret, c’est tout.