Quelques minutes après que Rafael Espinoza a effectué sa quatrième défense de son titre WBO des poids plumes avec une victoire par KO contre Arnold Khegai, il est monté sur scène au sommet de la rampe d’entrée, accompagné du groupe de mariachi de la soirée. Pendant que Khegai recevait des soins médicaux qu’il aurait peut-être dû recevoir bien plus tôt, Espinoza, toujours en tenue de combat et paré de sa somptueuse robe, entonnait « El Rey » devant le public de l’Arena Coliseo à San Luis Potosi, au Mexique

Il est presque injuste qu’Espinoza possède à la fois des qualités pugilistiques de classe mondiale et une voix puissante digne d’un chanteur professionnel — une combinaison enviée par beaucoup — mais bien des choses chez “El Divino” semblent injustes. Notamment le fait qu’il mesure 1,85 m, avec une allonge de 188 cm, tout en parvenant à rester dans la limite des 126 livres.

Sa démonstration physique face à Khegai a ressemblé à toutes ses défenses de titre jusque-là, en un peu plus sanglant et un peu plus prolongé. Khegai a été confronté aux mêmes problèmes que Robeisy Ramirez, Sergio Chirino et Edward Vazquez avant lui. Comment gérer un boxeur qui a les dimensions d’un cruiserweight mais le volume de coups d’un poids minimum ? Samedi soir, Espinoza a touché 223 de ses 875 coups en dix rounds selon CompuBox. Dans sept des dix reprises, avant que le coin de Khegai ne l’épargne enfin de son propre courage, Espinoza a connecté plus de vingt coups. Par temps normal, les statistiques de Khegai — 85 coups réussis sur 275 (31,1 %) — auraient été respectables et peut-être même suffisantes pour gagner un combat. Mais Espinoza, et ce qu’il faut pour le battre, n’ont rien de normal.

Les efforts de Khegai et les chiffres qui en résultent illustrent le schéma récurrent des combats d’Espinoza. Khegai a réussi à placer d’énormes crochets, parfaitement armés et exécutés, sans provoquer la moindre réaction négative chez Espinoza. En réalité, lorsqu’Espinoza est touché durement, son premier réflexe est de répondre par des enchaînements, créant une situation extrêmement démoralisante pour ses adversaires. Vous le touchez avec votre meilleur coup, mais non seulement cela ne l’affecte pas, mais vous n’avez même pas le temps de savourer ce moment que déjà une dizaine de coups vous reviennent, dont statistiquement un sur quatre vous atteint.

Cela ne signifie pas pour autant qu’Espinoza est totalement insensible. On l’a vu être durement mis au tapis par Robeisy Ramirez lors de leur premier combat — si durement que son tibia en a été fracturé. Il s’est pourtant battu encore sept rounds sur une jambe, avant de revenir pour remporter le combat et s’emparer du titre mondial qu’il défend encore aujourd’hui.

À bien des égards, Espinoza ressemble à un “boss final” d’un jeu vidéo : un personnage doté de statistiques absurdes mais d’un défaut unique et très spécifique. Le sien, comme celui de beaucoup de boxeurs exceptionnellement grands pour leur catégorie, est qu’il peut être blessé — et le mot est fort — mais si vous n’y parvenez pas, vos options deviennent extrêmement limitées. Pouvez-vous tenir le rythme d’un boxeur qui envoie près de mille coups par combat ? Si non, pouvez-vous neutraliser cette activité, surtout lorsqu’elle provient d’un colosse capable de vous toucher à une distance où vous, vous ne pouvez rien toucher ?

Mettons la taille d’Espinoza en perspective à l’aide de quelques exemples connus. La plupart des gens prennent Thomas Hearns comme référence pour un boxeur grand par rapport à sa catégorie de poids : un spécimen impressionnant à 147 livres en particulier, mais qui restait imposant en super-welter et même en poids moyen avant de combattre jusqu’au poids cruiser. Espinoza a la même taille que Hearns.

Ou encore, prenons l’exemple du malheureux combat d’exhibition entre Jake Paul et Gervonta Davis. Paul mesure 1,85 m avec une envergure de 1,93 m, tandis que Davis mesure 1,66 m avec une envergure de 1,71 m. Cette différence de taille — en tenant évidemment compte de la masse corporelle — a été un point de discussion majeur. Espinoza serait à hauteur d’yeux avec Paul et n’est inférieur que de deux pouces au niveau de l’envergure. Khegai mesure 1,65 m avec une envergure de 1,68 m, presque identique à Tank, sauf qu’il se retrouvait dans un combat avec les mêmes désavantages face à un adversaire pesant le même poids

Bien qu’Espinoza soit un cauchemar stylistique pour quiconque dans sa division, le qualifier de “croque-mitaine” serait peut-être exagéré. Cela suggère qu’il est un boxeur que ses pairs cherchent à éviter, ce qui ne semble pas être le cas. Quelques minutes après sa victoire, Bruce “Shu Shu” Carrington l’a déjà défié. Luis Alberto Lopez également, et Junto Nakatani ainsi que Naoya Inoue ont aussi évoqué vouloir l’affronter.

En partie parce que les boxeurs d’élite croient naturellement pouvoir battre leurs rivaux. Mais aussi parce qu’il existe une méfiance instinctive concernant les boxeurs extrêmement grands pour leur catégorie. Les combattants aux mensurations disproportionnées manquent souvent de mobilité. Espinoza, en revanche, maîtrise les déplacements, les angles, et a prouvé qu’il pouvait s’imposer au plus haut niveau avec ce gabarit. Dans l’histoire, on compte beaucoup plus de géants incapables de s’imposer que de cas comme Paul Williams, Sebastian Fundora ou Tyson Fury. Et même chez ces titans qui ont dominé leurs divisions, les vidéos de leurs mises au tapis spectaculaires restent gravées dans les mémoires.

Espinoza est déjà numéro 1 des poids plumes au classement de The Ring, mais les plus grands défis — au sens propre comme au figuré — sont encore devant lui, incarnés par ceux qui souhaitent l’affronter. Il domine déjà la division, mais de combien les surplombe-t-il réellement, et jusqu’où son regard porte-t-il devant lui ?