LONDRES — Lorsque Moses Itauma est officiellement devenu professionnel le jour de ses 18 ans, en décembre 2022, le message était clair : battre le record de Mike Tyson et devenir le plus jeune champion du monde poids lourd de l’histoire.

Cela laissait à l’adolescent — et aux décideurs qui l’entourent — moins de 30 mois pour transformer un novice, qui n’avait même pas encore affronté un homme adulte, en l’Homme de la catégorie reine.

Si cet objectif offrait un récit utile autour de ce jeune prodige évident, la réalité, en coulisses, était toute autre : personne, dans le camp Itauma, n’avait réellement l’intention de le précipiter vers quoi que ce soit avant qu’il ne soit prêt.

Le promoteur Frank Warren et son fils Francis, également manager de Moses, ont suffisamment d’expérience pour savoir que les bénéfices d’une progression bien construite vers un statut de champion durable surpassent largement ceux d’une course effrénée vers un record qui, dans le grand schéma des choses, n’a que peu de valeur.

Finalement, l’échéance pour battre Mike Tyson — devenu champion en 1986 à 20 ans, 4 mois et 22 jours — est passée à la mi-mai, dans une relative indifférence. Dans d’autres époques de la catégorie poids lourd, une opportunité aurait peut-être pu se présenter pour lui de décrocher une ceinture mondiale. Mais avec Oleksandr Usyk, Tyson Fury, et plus récemment Daniel Dubois engagés dans des combats pour l’unification et des revanches contractuelles, aucune ouverture ne s’est présentée pour Itauma.

Avec la course au record désormais terminée, l’entourage du boxeur peut respirer, réévaluer le paysage et tracer un plan plus réfléchi pour la suite. Dans une récente interview accordée à The Ring, Frank Warren a déclaré :

« Je ne suis pas pressé de faire quoi que ce soit rapidement. Ce qui m’importe, c’est de faire les bons combats au bon moment. »

À court terme, cela signifie un combat contre Dillian Whyte, 37 ans, ancien challenger mondial qui nourrit encore l’ambition de revenir dans la course. Le combat aura lieu en tête d’affiche à Riyad, en Arabie Saoudite, le 16 août, diffusé en direct sur DAZN Pay-Per-View (15,99 £ au Royaume-Uni ; 49,99 $ aux États-Unis).

Mais la vraie question demeure : est-ce trop, trop tôt pour un talent aussi spécial qu’Itauma (12-0, 10 KO) ? Et que nous enseigne l’histoire de la boxe poids lourd sur les dangers de précipiter l’évolution des jeunes espoirs ?

Pas besoin de remonter bien loin : le week-end dernier offre déjà un exemple frappant d’un autre projet poids lourd signé Frank Warren…

Le Londonien Daniel Dubois avait été un boxeur junior prolifique, mais ne comptait que sept combats chez les seniors lorsqu’il a fait ses débuts professionnels avec Queensberry, renonçant ainsi à la possibilité de représenter l’équipe de Grande-Bretagne aux Jeux olympiques.

Il existe des parallèles clairs entre le début de carrière de Dubois et celui de Moses Itauma : des adversaires internationaux, des boxeurs venus pour (essayer de) lui offrir quelques rounds, et quelques noms un peu plus connus ici et là.

Bien sûr, Dubois a rencontré son premier véritable obstacle lors de son 16e combat, lorsque Joe Joyce l’a méthodiquement démoli à Westminster en novembre 2020. Beaucoup l'ont alors enterré, certains l’ont traité de lâche, mais son parcours jusqu’au combat pour le titre incontesté samedi dernier a fait taire toutes les critiques. On pourrait même dire que ce qu’il a vécu cette nuit-là face à Joyce — et ce qui a suivi — l’a forgé en tant que boxeur.

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, un autre jeune homme — de deux ans l’aîné de Dubois — était présenté comme le prochain grand espoir américain des poids lourds, prêt à prendre la relève du champion WBC de longue date, Deontay Wilder.

Au moment où Joyce battait Dubois, Jared Anderson, originaire de l’Ohio, avait entamé sa carrière professionnelle avec sept KO consécutifs, suscitant déjà de grandes attentes. Dix combats supplémentaires ont suivi, avec des passages aux formats de huit puis dix rounds — avant qu’il ne soit brutalement stoppé par Martin Bakole en août dernier.

Il arrive un moment où tout jeune poids lourd doit effectuer un véritable saut de niveau, surtout dans une division aussi dense que celle d’aujourd’hui. Mais lorsque Bakole a marché sur Anderson et l’a dominé, il était difficile de ne pas penser qu’il s’agissait d’un choix de matchmaking douteux.

Michael Grant est un autre Américain qui fera toujours partie de la conversation autour des poids lourds poussés trop tôt. Mais Grant, ancien joueur de football universitaire, avait 27 ans lorsqu’il s’est effondré face à Lennox Lewis — soit sept ans de plus qu’Itauma aujourd’hui.

Après avoir été mis au tapis trois fois par Lewis dans le premier round de leur affrontement au Madison Square Garden, il est vite devenu évident que, malgré son bilan de 31-0, Grant n’avait rien à faire là. Il a été mis KO dans les derniers instants du deuxième round.

En sous-carte ce soir-là se trouvait Wladimir Klitschko, qui, seulement 18 mois plus tôt, avait été mis KO de manière spectaculaire par Ross Puritty à Kyiv, en Ukraine. Klitschko, médaillé d’or olympique en 1996, n’avait que 22 ans et allait subir d’autres défaites par arrêt contre Corrie Sanders et Lamon Brewster avant de devenir l’un des champions poids lourds les plus dominants de l’histoire. Le fait est qu’il n’y a pas de chemin tout tracé vers le succès, et que tout peut arriver dans un combat poids lourd.

Itauma contre Whyte (31-3, 21 KOs) présente des similitudes avec une autre affiche promue par Warren dans les années 1990. À l’époque, son jeune espoir affamé s’appelait Pele Reid, qui se présentait à York Hall, Bethnal Green avec 13 combats, 13 victoires, 13 KO. Julius Francis (18-7), âgé de 34 ans, était alors champion poids lourd britannique et du Commonwealth, mais considéré comme un grand outsider.

Cependant, en trois rounds, le combat était terminé, Francis forçant l’arbitre Richie Davies à intervenir et obtenant ce que le journal britannique The Independent a qualifié de « victoire remarquable pour le titre britannique des lourds ». Reid ne fut plus jamais le même et n’atteignit jamais les sommets que beaucoup lui prédisaient.

Cette défaite face à Francis fut la première d’une série de trois revers consécutifs. Il prit finalement sa retraite en 2009 avec un bilan de 20-6-2 (17 KOs). Il ne disputa jamais un combat en 12 rounds. Ce qui est incroyable, c’est qu’à 26 ans, Reid était encore six ans plus âgé qu’Itauma aujourd’hui.

Itauma, résident du Kent né en Slovaquie, n’a jamais perdu un combat de sa vie. En réalité, il a à peine perdu un round en amateur ou chez les professionnels. Il n’a jamais non plus laissé quiconque lui toucher le menton avec une réelle puissance.

On dit que la dernière chose à disparaître chez un boxeur, c’est sa puissance de frappe, et à 37 ans, Whyte pourrait encore mettre KO pratiquement n’importe quel poids lourd de la planète s’il touche proprement. Reste à savoir s’il aura l’occasion de le faire contre l’insaisissable Itauma — ce qui est une toute autre question.

Comment réagira-t-il en situation de crise ? Seul le temps nous le dira.

Il arrive aussi un moment où il faut faire tourner la roue et franchir les paliers. L’histoire montre qu’on gagne parfois, qu’on perd parfois, que certains reviennent et que d’autres disparaissent. Quel que soit le résultat face à Whyte le mois prochain, cela ne fera pas — ou ne détruira pas — Moses Itauma, mais cela pourrait nous donner une indication sur la question suivante :

est-il plutôt Klitschko, Grant ou Reid ?