Si vous êtes un adepte de boxe au Canada depuis près d’un demi-siècle, alors Russ Anber a forcément fait partie de votre vie.
À certains moments, il a même été omniprésent. Peu importe la manière dont vous suiviez ce sport, en tant que passionné ou pratiquant, Anber était l’homme incontournable. Celui qui était – et est encore – présent dans le coin des champions du monde (pour les entraîner ou suturer leurs coupures), celui qui formait les meilleurs amateurs du pays, commentait les Jeux olympiques, animait l’émission télévisée nationale qui vous tenait informé de l’actualité de la boxe, et concevait lui-même l’équipement utilisé par vous et par vos boxeurs favoris.
Même ce résumé ne rend pas vraiment justice au rôle passé et toujours actuel d’Anber dans le sport. La seule manière adéquate de lui rendre hommage était de l’introniser à l’International Boxing Hall of Fame – une reconnaissance devenue officielle la semaine dernière dans une annonce venue de Canastota.
Anber devient ainsi le tout premier entraîneur canadien intronisé au IBHOF, et la troisième personnalité originaire de Montréal à y entrer, aux côtés d’Arturo Gatti et de Guy Jutras, deux hommes qui ont croisé sa route durant les débuts modestes de sa carrière à l’Olympic Boxing Club puis au Saint-Laurent Boxing Club. Malgré la richesse de son parcours, c’est l’entraînement – ou plutôt l’enseignement – qui constitue la racine de toutes les facettes de sa vie dans la boxe.
« J’ai toujours senti que c’était mon don », a confié Anber à The Ring. « Certains athlètes naissent avec des talents que personne ne peut leur apprendre. Ils ont ce petit quelque chose de plus que le commun des mortels ne possède pas. Moi, je n’ai jamais bénéficié de ce don-là, même si je rêvais pleinement d’être un athlète. Je savais que je ne serais jamais une star. Mais je sentais au fond de moi un appel, quelque chose qui faisait que coacher me venait naturellement. »
Après une courte carrière amateur de trois combats, Anber a trouvé sa véritable vocation comme entraîneur professionnel à l’âge de 18 ans, lorsqu’il s’est occupé du coin du poids moyen Vinnie Curto, victorieux aux points contre Marciano Bernardi.
Jeune entraîneur prometteur au club olympique, Anber s’est lié d’amitié avec Curto – une relation qui perdure – et a intégré son camp d’entraînement en vue du combat contre Eddie Melo. Moins de deux ans après avoir travaillé dans un combat principal au légendaire Montreal Forum, Claude Hebert lui a remis littéralement les clés du gymnase de Saint-Laurent. À 20 ans, Anber formait déjà son premier champion canadien : Howard Grant, frère d’Otis, qui deviendrait seize ans plus tard son premier champion du monde professionnel.
Même lorsqu’il n’est pas dans un coin, Anber met à profit son demi-siècle passé dans les salles – depuis ses débuts à porter les seaux d’eau – pour nourrir sa façon de transmettre et d’expliquer la boxe.
Quand il crée de nouveaux équipements pour Rival Boxing, société qu’il a fondée en 2003, il puise dans l’expérience accumulée à gérer un gymnase bien avant même d’avoir l’âge légal pour boire aux États-Unis, et dans les milliers de mains qu’il a bandées au fil des années. Lorsqu’il est à l’antenne – lui qui a commenté six éditions des Jeux olympiques et animé In This Corner sur TSN – il demeure à la fois l’entraîneur dans l’oreille du spectateur, expliquant ce que les boxeurs devraient faire, et le guide qui aide le public à comprendre ce qu’il voit.
La constante, c’est Anber lui-même : un passionné de boxe pur et dur, l’un des derniers liens vivants avec les époques dorées du sport, qui transmet son savoir pour améliorer la boxe, la rendre plus sûre et plus accessible.
« Mon don, c’est cette capacité à entraîner, à décomposer les choses, à analyser et à aider les gens à comprendre comment ça fonctionne », a-t-il expliqué.
L’influence d’Anber dépasse largement les frontières du Canada : il est devenu une figure essentielle dans le coin de plusieurs stars de la génération actuelle, notamment Oleksandr Usyk et Vasyl Lomachenko. Son rôle polyvalent – technicien de bandage, cutman d’exception, conseiller tactique – en fait un véritable couteau suisse au sein d’une équipe.
Comme le veut le mot "international" dans International Boxing Hall of Fame, l’institution célèbre les personnalités ayant exercé un impact mondial, mais aussi celles qui ont profondément marqué la boxe dans leur pays. Et au Canada, particulièrement au Québec, impossible de comprendre la ferveur autour de la boxe sans mentionner Anber.
Au-delà de son travail avec les meilleurs boxeurs canadiens de ces dernières décennies, Anber a été l’un des leaders intellectuels du pays en matière de boxe. Durant une grande partie des années 1990 et 2000, les Canadiens ont bénéficié d’un accord entre TSN, HBO et ESPN qui permettait la diffusion de combats hors pay-per-view partout au pays.
De plus, Anber animait In This Corner avec le regretté Darren Dutchyshen, une émission rappelant Inside
The Ring. Pendant cette période, Anber était pour la boxe ce que Don Cherry représentait pour le hockey : un personnage télévisuel charismatique, fidèle à des valeurs traditionnelles, tout en étant capable d’enseigner les subtilités techniques. Être un fan éclairé n’avait jamais été aussi simple. Et pour ceux qui voulaient tenter la boxe, il y avait le DVD Title Boxing, présenté par Anber.
« Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait au plus haut niveau possible », affirme Anber. « Je pense qu’on peut dire qu’aucune personne dans l’histoire de ce sport, pas seulement au Canada, n’a accompli tout ce que j’ai fait à un niveau mondial. Je suis fier de dire que je n’ai acheté ma place nulle part, je n’ai manipulé personne, tout repose sur le mérite. Aucun calcul politique. Je suis fier que mes accomplissements soient reconnus pour leur valeur réelle. »
C’est un moment symbolique pour Anber de rejoindre Gatti et Jutras à Canastota. Lorsque Anber s’est rapproché de Curto, Gatti n’était encore qu’un amateur de 7 ans débutant en gymnase. En grandissant, il est devenu l’un des piliers de la scène amateur québécoise, et c’est Anber qui lui a donné le surnom « The Professor » en raison de sa technique exceptionnelle. Ils sont restés amis jusqu’à sa mort tragique en 2009.
Quant à Jutras, 94 ans aujourd’hui, Anber est désormais celui qui incarne la figure respectée que Jutras avait été pour lui dans les années 1980.
« Guy est la seule âme vivante encore là depuis mon tout premier jour dans la boxe », dit Anber. « Il était avec moi au tout début et m’a toujours respecté. Après les combats à la Paul Sauvé Arena, on allait au Beaubein Deli pour refaire le match autour d’un sandwich. Lui, un arbitre de classe mondiale, assis avec moi — un gamin de 17 ou 18 ans — et je me rappelle qu’il disait : “Ce gosse connaît la boxe.” Pour moi, c’était énorme. »
Son intronisation ne signifie pas pour autant qu’Anber s’apprête à entrer dans une phase de fin de carrière. À 64 ans, son expertise est plus recherchée que jamais, et Rival Boxing s’impose comme l’un des grands noms mondiaux de l’équipement.
Mais malgré tout ce qu’il accomplit aujourd’hui, Anber affirme qu’il trouvait déjà son bonheur à l’époque où il vivait dans un sous-sol et se débrouillait pour obtenir des repas gratuits simplement pour pouvoir passer davantage de temps au gymnase à enseigner et à apprendre.
« Mec, je suis en retraite depuis mes 18 ans », dit-il en riant. « Les gens prennent leur retraite pour faire ce qu’ils aiment, pour voyager. Moi, c’est ça ma retraite. Je n’ai jamais travaillé un seul jour. Rien n’a été un travail. C’était une passion. Aujourd’hui je suis payé pour faire ce que je faisais gratuitement — voire ce que je payais pour pouvoir faire. »
Anber recevra sa plaque. Il mérite ses fleurs. Mais ne lui offrez pas encore sa montre en or