Peu de gens semblent le réaliser, mais Floyd Mayweather Jr. a poursuivi Muhammad Ali toute sa carrière. Ce n’est pas en soi une singularité : il n’y a jamais eu un autre Ali et il n’y en aura jamais. Mais depuis son règne, d’innombrables boxeurs ont cherché à reproduire son succès, sa notoriété et son aura.

La dernière tentative de Mayweather pour capter une part de la gloire d’Ali le mène face à l’ancien champion du monde poids lourds Mike Tyson, qui aura près de 60 ans lorsqu’ils partageront le ring pour ce qui devrait être, du moins pour l’instant, un simple combat d’exhibition.

En surface, Mayweather et Tyson ne font que prolonger une tendance récente : celle des exhibitions entre boxeurs déjà retraités, partiellement ou définitivement. Tyson lui-même avait affronté Roy Jones Jr. dans un combat d’exhibition qui, en pleine pandémie, avait redonné un souffle au monde de la boxe.

Pour Mayweather, il s’agit d’un nouvel épisode après une demi-douzaine d’exhibitions depuis sa victoire contre Conor McGregor en 2017, son dernier combat professionnel.

Ces dernières années, plusieurs anciens champions comme Marco Antonio Barrera ou Evander Holyfield sont eux aussi remontés sur le ring. Certaines exhibitions se sont révélées réussies, d’autres proches du désastre.

Il faut rappeler qu’autrefois, presque tous les combats étaient considérés comme des exhibitions. Au XVIIIe siècle, lorsque la boxe a commencé à se structurer, les véritables affrontements restaient mal perçus. Les exhibitions servaient alors à populariser le sport et à rassurer un public sceptique.

Avec l’essor du vaudeville et des circuits forains au tournant des XIXe et XXe siècles, ces exhibitions ont pris de l’ampleur. Pour les boxeurs professionnels, elles représentaient aussi une source de revenus leur permettant de contourner les interdictions. En promettant de ne pas infliger de réels dégâts, ils satisfaisaient le public tout en échappant à la répression.

À cette époque, entre contraintes juridiques, règles différentes et manque d’infrastructures, la boxe était un sport tout autre. L’essence — deux hommes qui s’affrontent pour de l’argent — demeure, mais tant d’éléments ont changé que la discipline serait méconnaissable pour les générations passées.

Au plus haut niveau, les bourses ont tellement explosé que les boxeurs actifs ne prennent plus le risque d’exhibitions, craignant blessures et annulations de combats lucratifs. Mayweather, à la manière d’Ali, a donc fait en sorte que ses exhibitions coïncident avec ses combats les plus rentables.

Les champions poids lourds ont longtemps eu pour tradition de disputer des exhibitions. Tous ne l’ont pas fait, mais beaucoup, de Jem Mace dans les années 1870 à Ali dans les années 1980, y sont passés. Ali, en particulier, a su transformer ses exhibitions en spectacles captivants.

Dès ses débuts, lorsqu’il était encore Cassius Clay, il avait participé à une exhibition contre l’ancien champion Ingemar Johansson à Miami Beach. Puis, entre son premier sacre mondial et 1982, Ali disputa plus de 80 exhibitions. Certaines furent marquantes : en 1977, il affronta le futur champion WBA Michael Dokes ; en 1979, il fit sensation en se mesurant à la star de la NFL Lyle Alzado devant 20 000 spectateurs.

Son exhibition la plus célèbre reste sans doute celle contre le catcheur japonais Antonio Inoki en 1976. Combat aux règles mixtes, l’événement a marqué un tournant culturel. Absurdement hybride, il a néanmoins rapporté 6 millions de dollars à Ali, attiré des millions de téléspectateurs et posé les bases du rapprochement entre boxe et lutte professionnelle.

Comme Ali-Inoki, le duel Mayweather-Tyson est un événement auquel peu s’attendaient ou aspiraient réellement. Mayweather n’a pas livré de combat professionnel significatif depuis dix ans, Tyson depuis vingt. Aux yeux des puristes, le combat ne répond à aucune question sportive. Mais, comme toujours, cela importe peu.

Dans l’ère moderne, ce combat revient à opposer deux des noms les plus recherchés sur Internet. Deux des plus grands aimants à polémique de l’histoire du sport réunis sur un même ring. En condensant le hate-watching et la nostalgie, Tyson vs Mayweather devient l’événement ultime.

Contrairement aux exhibitions d’Ali, ce duel pourrait offrir une ultime opportunité à Tyson comme à Mayweather : confirmer l’opinion générale ou quitter le ring en héros inattendu. La différence est qu’Ali était encore champion, même usé, et qu’Inoki restait une figure active du catch japonais. Ici, le risque est que ce combat définisse injustement l’héritage de Mayweather et, dans une moindre mesure, celui de Tyson.

Dès 1996, peu après être devenu triple vainqueur des Golden Gloves, Mayweather se comparait déjà à Ali. Tout au long de sa carrière, il n’a cessé d’invoquer son nom. Parfois pour légitimer son style, parfois pour s’ériger en martyr. En 2012, après une condamnation pour violences domestiques, il n’hésita pas à se comparer à « The Greatest », exilé de son trône de champion poids lourds pour avoir refusé la guerre du Vietnam.

Il est vrai que Mayweather et Ali partagent certains traits : figures polarisantes, ils ont connu des sommets de célébrité rares et affronté un système parfois hostile. Tous deux ont vécu le racisme et l’adversité institutionnelle.

Mais la question demeure : comment Mayweather, habituellement autour de 150 livres, compte-t-il affronter même un Tyson vieillissant ? Dans le monde flou des exhibitions, du sparring et des combats spectacles, la frontière entre sérieux et farce a toujours été mince. Au fond, tant qu’il monte sur le ring, cela suffit.

Mayweather et Tyson sont des icônes issues d’ères différentes, désormais aussi lointaines et datées que celle d’Ali. On sait à quoi ressemble Tyson aujourd’hui, et le voir a déjà pu provoquer un malaise. Mayweather représente peut-être la dernière chance d’éveiller, même fugitivement, une parcelle de ce passé glorieux.

Pour lui, ce combat n’est rien de plus qu’un dernier pas dans l’ombre d’Ali.