L’ambiance, par un mardi après-midi gris au Churchill’s Boxing Gym, dans le sud de Londres, est chargée d’une impatiente excitation alors que l’équipe d’entraînement de Chris Eubank Jr et le magazine The Ring attendent une arrivée qui s’annonce grandiose.

Évidemment habitué aux arrivées en retard mais avec style, l’un de ses entraîneurs remarque : « Chris devrait être là pour 17h, mais cela pourrait signifier n’importe quoi. »

En attendant, les regards se tournent vers l’un des rings, où la boxeuse espoir en super-coq Johanna Wonyou tape dans les pattes d’ours de Samm Mullins, le propriétaire de la salle. Puis l’attention glisse vers Jonathan Banks, entraîneur principal d’Eubank Jr, qui déplie une chaise, s’installe, et fixe intensément la porte d’entrée.

Et soudain, du mouvement. Une Tesla Model X noire aux portières « ailes de faucon » se gare devant la salle, plusieurs personnes en sortent, dont l’une équipée d’une grosse caméra stabilisée.

Eubank Jr fait partie du groupe, et son entrée dans la salle est filmée pour un documentaire, qui « pourrait finir sur Amazon Prime ou un truc comme ça », selon le caméraman.

À seulement quelques semaines de son combat du 26 avril face à son rival « hérité » Conor Benn au Tottenham Hotspur Stadium — un événement organisé par The Ring en association avec SNK Games (créateurs du jeu vidéo FATAL Fury: City of the Wolves), Matchroom Boxing et Boxxer — Eubank Jr affiche un calme absolu.

Il s’enfonce dans un canapé au fond de la salle et, comme il l’a déjà fait lors des deux conférences de presse avec Benn en février, capte l’attention avec aisance en commençant à revenir sur les cinq dernières années de sa vie : une période marquée par la mort tragique de son frère Sebastian en 2021, l’annulation de son premier combat prévu contre Benn en 2022, et sa première défaite par KO face à Liam Smith en 2023.

« La vie a été ce qu’elle est vraiment », confie Eubank Jr (34-3, 25 KO) à The Ring. « Des épreuves, des tribulations, des hauts, des bas, des succès et des échecs. J’ai appris que j’étais plutôt bon pour faire face à des choses qu’on ne voit pas venir.

Peu importe la difficulté ou le choc, je trouve toujours un moyen de rester concentré, de ne pas dévier. C’est une chose dont je suis fier.

Je ne veux pas dire que je suis froid. Certains me voient comme ça, ou trouvent que je donne cette impression. Mais si je suis froid, alors c’est la boxe qui m’a rendu comme ça.

J’ai vu trop de choses, vécu trop de choses, dans et hors du ring, pour être un homme émotionnel. J’ai traversé trop d’épreuves, et aujourd’hui… disons que je n’ai plus les réactions qu’auraient la plupart des gens dans certaines situations, surtout sous pression ou dans des contextes hostiles.

Je ne réagis pas. Il y a une aura particulière autour de ma manière d’agir, de parler, et ça semble fasciner les gens. C’est juste moi. »

« Je pense que, pour pouvoir faire ce que j’ai fait », dit-il, « pour avoir pu rester dans ce sport aussi longtemps, et y être resté de manière responsable — pas juste pour l’argent ou par manque d’options — il faut vraiment aimer ça.

Il y a tellement de souffrances, de douleurs, que tu dois traverser. Quand tu rentres chez toi après une journée difficile à la salle, à te faire tabasser en sparring, avec une blessure, malade... tu te dis : tu sais quoi ? Je ne vais pas y retourner demain. F***, je vais faire autre chose.

Tu ne peux jamais réussir dans une industrie aussi cruelle et impitoyable à moins d’aimer profondément ce que tu fais. »

Puis, à propos de Conor Benn :

« Ce que je n’aime pas, c’est que [Benn] se préparait à m’affronter en prenant des produits dopants. Je ne vais pas lui donner ce pouvoir sur moi en disant que je le hais. Mais pour moi, c’est un minable, quelqu’un qui ne mérite pas la position qu’il occupe. Un gars que je vais faire tout mon possible pour éjecter de ce sport. »

Eubank Jr évoque aussi son image de « méchant du boxing britannique », en expliquant que Benn est désormais aussi détesté que lui à cause de ses tests antidopage positifs.

« Les huées sont devenues un réconfort, aussi tordu que ça puisse paraître », dit-il.

Mais c’est la vie en dehors du ring qui lui apporte le plus de paix désormais.

Il passe désormais la majorité de son temps entre Las Vegas et Dubaï, loin de Brighton, sa ville natale, où vit également son neveu Raheem, le fils de son frère décédé, Sebastian.

« J’aimerai toujours Brighton », ajoute-t-il. « Mais à ce stade de ma vie, j’ai un peu dépassé ce style de vie de petite ville.

Certaines personnes aiment ça, elles recherchent la tranquillité. Mais je n’ai jamais été ce genre de gars. J’aime l’excitation, j’aime être au cœur de l’action. Et si je n’y suis pas, je veux y avoir accès facilement. Pas envie de conduire une heure et demie juste pour aller quelque part de cool.

Et puis, Raheem, c’est la seule chose qui a rendu la mort de mon frère supportable. Il m’a permis de rester debout. Je savais que je devais être là pour lui.

On a une relation incroyable. Je passe beaucoup de temps avec lui à Dubaï. Je l’emmène partout avec moi dès que je peux. Je n’avais jamais pensé à ce genre de vie en étant plus jeune. Ça ne m’attirait pas, je ne comprenais pas. Puis Raheem est arrivé dans ma vie… et maintenant, rien ne me rend plus heureux. C’est fou. Ça me fait penser à fonder ma propre famille, avoir mon propre fils. Mais Raheem, c’est déjà mon fils dans mon cœur. »

Puis, retour au sujet principal : le combat face à Benn, qui n’a encore jamais combattu au niveau mondial, et qui monte de la catégorie des 147 livres (welterweight) pour défier Eubank Jr chez les moyens.

« Il n’a encore rien prouvé », dit Eubank Jr. « On ne sait pas de quoi il est capable. Et parfois, c’est encore plus dur, parce que ces mecs-là ne savent pas perdre. Ils n’ont pas ça en eux. Mais même si j’ai déjà perdu, je ne sais toujours pas ce que c’est que perdre non plus. »

Et pour conclure, fidèle à l'esprit énigmatique de son père Chris Eubank Sr, qui ne sera pas présent au Tottenham Hotspur Stadium, ayant exprimé son désaccord avec ce combat, Eubank Jr termine avec une phrase aussi mystérieuse qu’emblématique :

« La procédure sera parlementaire. »